« D. Trump convainc les marchés qu’il reculera toujours, trop peut-être ?
Le mois de mai n’aura pas été de tout repos sur le front des développements économiques et financiers. Du côté des nouvelles positives, on relèvera l’accord entre le Chine et les USA sur les tarifs et la décision (encore à confirmer) d’un tribunal américain d’invalider les tarifs réciproques voulus par l’administration Trump.
A cela s’ajoutent une saison des bénéfices de bonne facture et des résultats encourageants des « 7 Magnifiques », à l’image des chiffres publiés par NVIDIA, qui confirment que le thème de l’intelligence artificielle demeure valide.
Sur un plan plus négatif, les doutes récurrents sur le caractère soutenable du déficit budgétaire et de la dette US, la tension sur les rendements longs de l’Oncle Sam, la décorrélation entre ces derniers et le dollar ou encore « les secousses » sur les emprunts souverains en Yen doivent être mis en exergue. On y ajoutera évidemment que la situation sur le front de la guerre commerciale est loin d’être claire.
Les investisseurs ont clairement décidé de voir le verre à moitié plein, à l’image d’un S&P500 qui a connu sa meilleure performance mensuelle depuis novembre 2023.
Le bon comportement des dettes à haut rendement et la surperformance des actions US par rapport à leurs homologues européennes (grâce à l’AI/technologie) confirment un retour en grâce du risque.
Avancé par un éditorialiste du Financial Times, le célèbre TACO (Trump Always Chickens Out) est peut-être à l’œuvre dans l’esprit des opérateurs. La « méthode » Trump serait désormais intégrée par ceux-ci: à chaque annonce « majeure » (tarif, menace sur la Fed etc..) correspond un recul – inévitable – du Président. Attention, cependant, de ne pas tomber dans la complaisance !

« Le rebond des actions en mai nous a quelque peu surpris. »
FRANÇOIS SAVARY, CHIEF INVESTMENT OFFICER GENVIL SA
En effet, certains éléments sous-jacents au rallye des actions (les petits investisseurs ont acheté massivement sur faiblesse, entrainant des couvertures de positions short par des fonds alternatifs) ne doivent pas être ignorés.
On ne se plaindra pas de voir les actifs risqués retrouver de la hauteur, au regard de l’impact positif sur la performance des portefeuilles au cours des dernières semaines.
La réduction des tarifs initialement imposés par les USA est une bonne nouvelle pour les marchés boursiers, même s’il reste difficile de déterminer à quel niveau ces derniers seront finalement établis.
L’inflexion positive dans le conflit commercial sino-américain nous a néanmoins conduit, courant mai, à revoir 1) nos probabilités sur les scénarios conjoncturels pour les prochains mois et 2) notre objectif sur l’indice S&P500 à la hausse pour la fin 2025 (6000).
« Après avoir été longtemps absents de ces marchés, nous avons constitué une solide positions en actions émergentes au cours des deux derniers mois. »
La réduction du risque de récession (de 30% à 20%) explique la modification du notre objectif sur le principal indice boursier US. En effet, l’option d’un ralentissement contenu, en ampleur et en durée, semble désormais plus crédible (50% au lieu de 45%) par rapport à avril.
Nous ne sommes pas pour autant revenus à notre objectif fixé en début d’année (6400), car le risque de dérapage stagflationniste demeure (30%). C’est au cours des prochains mois que nous pourrons avoir une image plus précise des perturbations que les droits de douane auront sur le comportement des prix outre-Atlantique.
Dans ce contexte, le recul tendanciel des cours de l’or noir depuis le début de l’année, qui ne s’est pas infirmé en mai, est une nouvelle positive. Son maintien durant l’été pourrait nous inciter à qualifier le scénario de stagflation en y adjoignant l’épithète « temporaire ».
Une telle évolution sur le pétrole renforcerait les chances de voir la Réserve Fédérale assouplir sa politique à l’automne, dans un contexte où nous continuons à miser sur deux baisses de taux d’ici la fin de 2025.
De quoi limiter le risque d’un nouveau recul marqué des actions malgré une probable décélération conjoncturelle aux USA. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que les titres américains sont loin d’être bon marché après le rallye des dernières semaines.
Parce que nous restons convaincus que le potentiel des actions reste limité à horizon six mois et que le manque de visibilité économique et financière demeure important, une pondération neutre sur les marchés boursiers nous semble toujours adéquate.
Si les valeurs européennes ont sous-performé leurs homologues US dans le rebond rapide des dernières semaines, nous restons enclins à les privilégier dans le nouveau contexte global qui se dessine.
Certaines statistiques économiques pointent vers une inflexion positive de la conjoncture sur le Vieux Continent, tandis que des flux de fonds en direction des bourses de ce dernier s’accumulent depuis quelques mois, après des années de « vache maigre ».
De la même manière, malgré leur moindre performance depuis les bas d’avril, les titres défensifs restent bien représentés dans nos allocations. Il ne faut pas écarter les risques d’un retour de la volatilité sur les marchés boursiers, au gré des développements économiques et financiers incertains à horizon 3-6 mois. Ces valeurs conservent tout leur intérêt dans la perspective d’une gestion saine de la volatilité qui demeure un axe de notre politique de placement.
Après avoir introduit un investissement spécifique sur les actions indiennes en avril, la volonté exprimée par Pékin et Washington de trouver un accommodement sur le front commercial nous a conduit à investir globalement sur les bourses émergentes. En outre, la poursuite de la dépréciation du dollar (quasiment 10% depuis le début de l’année) est un facteur positif pour les pays émergents (moindre contraintes extérieures et autonomie monétaire renforcée).
Après une longue période durant laquelle nous sommes restés à l’écart des bourses émergentes, nous avons donc constitué une position « solide » sur ces actifs au cours des deux derniers mois. Dans les deux cas susmentionnés, l’utilisation d’ETFs nous est apparue comme la meilleure option à disposition.
Nous l’avons dit, la faiblesse de la devise de l’Oncle Sam ne s’est pas démentie depuis le début de l’année. Cette évolution est conforme à ce que nous anticipions.
Notre recommandation de réduire l’exposition USD dans les comptes dollars a contribué positivement à la performance de ces derniers depuis le début de l’année.
A contrario, malgré une réduction importante de notre exposition au risque dollar depuis plusieurs mois, les comptes de référence Euro et CHF souffrent de la faiblesse persistante du billet vert.
D’une manière générale, il ne faut pas occulter la décorrélation entre les taux d’intérêt US et l’évolution de la parité Euro/USD, par exemple. Cette tendance dénote une perte de confiance dans le billet vert, en relation avec le dérapage des finances publiques que la récente loi de finances 2025-2026, en cours de discussion au Congrès, n’a fait que renforcer.
Si la pérennisation de la baisse des impôts est de nature à stimuler quelque peu la conjoncture elle induira un endettement supplémentaire de 3000 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années et devrait péjorer le solde fiscal à brève échéance.
Il faut conserver à l’esprit que les USA consacrent désormais plus de 1 trillion de dollars au paiement des intérêts sur leur dette !
Pas de quoi rassurer les investisseurs ! Dans un tel contexte, une poursuite de la baisse du USD nous semble probable au cours des prochains mois, d’autant plus si la Réserve Fédérale s’engage dans un processus de relâchement monétaire, une fois le risque d’inflation sous contrôle. Dès lors, nous relevons notre objectif sur l’Euro/USD à 1.20 pour la fin de 2025. Une cible de 1.25 en 2026 nous semble également crédible.
Le franc suisse reste une valeur refuge dans les conditions actuelles. La BNS devrait abaisser ses taux en juin pour les ramener à 0%. Les autorités monétaires helvétiques ont clairement dit que la question d’un retour à des taux négatifs était dans leur esprit, dans une phase ultérieure et si nécessaire.
Nous restons cependant dubitatifs sur l’opportunité d’une telle mesure, à moins que celle-ci ne prenne une ampleur marquée. En outre, l’introduction de taux négatifs ne va pas sans provoquer des perturbations et elle pourrait donner du grain à moudre à l’Amérique dans son combat contre « la manipulation » des taux de changes.
Nous conservons notre postulat d’un Franc fort pour les prochains mois avec comme objectif 0.92 contre Euro, voire même 0.90 dans un horizon pas trop lointain. Une diversification dans le Franc Suisse reste donc une solution intéressante.
L’or est une autre valeur refuge, pour ne pas dire la principale, dans l’esprit des investisseurs. Après une brève consolidation vers la zone des 3150-3200, le métal jaune a repris le chemin de la hausse. L’intérêt déjà marqué des investisseurs pour cet actif a été conforté par la confirmation de nouveaux achats importants de la Chine en avril.
Parce que nous pensons toujours que les 3500 seront testés une nouvelle fois au cours des prochains mois, nous demeurons largement investi sur l’or dans nos allocations.
Pour terminer, un mot sur le marché obligataire, Le moins que l’on puisse dire est que mai n’a pas été sans heurts pour la dette souveraine. Ainsi, le mois dernier aura vu la première performance mensuelle négative de 2025 pour le marché des US Treasury Bonds, avec un retour du 30 ans au-delà de la barrière des 5%.
De l’autre côté du Pacifique, les soubresauts sur la dette gouvernementale nipponne ont été marqués (le 30 ans franchissant la barrière des 3%). Cette évolution est loin d’être anodine et pourrait induire des conséquences tant sur le politique de la BoJ que sur les « carry trade » en USD qui ont « explosé » depuis 10-15 ans.
Nous demeurons convaincus que les duration longues sur l’obligataire souverain n’est pas attrayante et nous confirmons notre choix de ne pas nous y intéresser, surtout aux Etats-Unis.
De la même manière, nous maintenons notre choix de privilégier le crédit dans notre allocation obligataire.
Après un mois de mai qui a vu la dette à haut rendement surperformer son homologue de meilleure qualité, des prises de profits sur le segment high yield peuvent être considérés. Se montrer plus prudent sur ce dernier nous semble pour le moins une attitude correcte.
En conclusion, qu’il s’agisse de l’effet TACO ou de la capacité des investisseurs à maintenir une solide mentalité d’achat sur faiblesse, les rebonds des actifs risqués en mai, nous a quelque peu surpris.
Si la perspective d’un nouveau test des niveaux de début avril s’est clairement éloignée, en partie grâce à une amélioration de l’environnement conjoncturel que l’on peut escompter à horizon 6-12 mois, il serait erroné de considérer que nous vivons dans un monde sans risque.
Le manque de visibilité, même réduit, demeure. C’est sur cette base que nous continuerons à fonder les orientations de notre politique de placement au cours des prochaines semaines.
Genève, le 2 juin 2025