La dette américaine est en grande partie en mains étrangères. Près d’un tiers des bons du Trésor est détenu hors du pays, principalement en Asie. Mais la Suisse aussi fait partie des 10 plus importants créanciers des Etats-Unis.
En théorie, la Suisse a un atout dans sa manche. Elle détient 300 milliards de dollars de dette américaine et fait ainsi partie des 10 plus importants créanciers de Washington. Pourrait-elle s’en servir dans les négociations commerciales avec Washington, pour éviter des droits de douane trop élevés?
La dette peut tout à fait être un outil de négociation entre la Suisse et les Etats-Unis
François Savary, stratégiste et fondateur de Genvil
Comme le souligne François Savary, stratégiste et fondateur de Genvil, “dans la redéfinition des relations mondiales par les Etats-Unis, il n’y a pas que le commerce. Pour obtenir des concessions commerciales de la part des Etats-Unis, il y a un ensemble de mesures liées à la défense ou liées à la dette américaine qui sont intégrées dans le plan global.” Pour lui, la dette “peut être donc tout à fait un outil de négociation non seulement entre la Suisse et les Etats-Unis, mais avec d’autres pays”.
Le Japon et la Chine, premiers créanciers des Etats-Unis
En tête des créanciers des Etats-Unis, le Japon détient 1000 milliards, suivi de la Chine. Au total, environ un tiers de la dette américaine, qui dépasse les 36’000 milliards, sont en mains étrangères. Une vente brutale de ces bons du Trésor pourrait déstabiliser ce marché et mettre en danger l’économie américaine.
Car lorsque les investisseurs vendent, comme on l’a vu la semaine dernière, les rendements augmentent. Ces derniers définissent les taux d’intérêt des emprunts de l’Etat mais aussi des hypothèques ou des prêts des entreprises. Une hausse des taux est donc néfaste pour tout le monde.
Ne pas toucher à l’indépendance de la Banque nationale suisse
Reste qu’en pratique, tout est plus compliqué, comme l’explique Daniel Varela, chef des investissements de la banque Piguet Galland: “Le gouvernement suisse ne peut pas décider de manière unilatérale d’user de son pouvoir pour vendre des bons du Trésor américain”. Il faudrait demander à la Banque nationale, qui détient une grande partie de cette dette, de vendre, ce qui n’est pas compatible avec son indépendance.
Et personne n’a envie de la remettre en question, car, poursuit Daniel Varela, “cela peut ébranler l’un des fondements qui a fait la prospérité de la Suisse ces dernières années, pour ne pas dire ces dernières décennies”.
Convaincre les investisseurs de vendre serait compliqué
Il ne sera en outre guère plus simple de convaincre les autres investisseurs: “Je vois mal le Conseil fédéral faire passer le message qu’il faut vendre les bons du Trésor américain. Et quand bien même il le ferait: est-ce que ce serait appliqué par des clients privés et institutionnels? J’en doute beaucoup”.
Seule la Chine pourrait utiliser cette monnaie d'échange
Lauréline Renaud Chatelain, experte obligataire chez Pictet Wealth Management
Lauréline Renaud Chatelain, experte obligataire chez Pictet Wealth Management, est du même avis: “Il serait très étonnant de voir la BNS s’immiscer dans les affaires politiques. Et comme elle est indépendante, le Conseil fédéral n’a pas l’autorité nécessaire pour lui demander de liquider ses positions”.
Seul pays qui peut vraiment utiliser cette “monnaie d’échange: la Chine. Ils en détiennent beaucoup, environ 760 milliards, en majorité dans des institutions sous le contrôle du gouvernement”, conclut l’experte.
Mathilde Farine