Le risque de voir les grands argentiers américains agir sur la base de considérations davantage politiques qu’économiques n’est pas négligeable.
20 Nov 2025 – 07:00 François Savary, Genvil SA
Alors qu’au plus bas de 2025, le billet vert avait reculé de plus de 10% face aux autres monnaies, notamment l’euro, il a tendance à se reprendre depuis quelques mois. Ainsi, si le cours EUR/USD a testé à deux reprises les niveaux de 1,18-1,1850 depuis le milieu de l’année, cette parité a globalement consolidé depuis la fin juin, affichant même une certaine vigueur récemment.
Ce dernier mouvement est intervenu alors même que la Réserve fédérale a repris son processus d’assouplissement monétaire en septembre. Faut-il y voir la preuve que les investisseurs estiment que le billet vert a suffisamment corrigé et qu’il n’est plus temps de parier sur une dépréciation supplémentaire en 2026? En d’autres termes, la thèse de la fin de l’exceptionnalisme américain doit-elle être remisée au placard?
La question des taux d’intérêt nominaux et réels est essentielle pour se prononcer. Les investisseurs restent très, pour ne pas dire trop, optimistes quant à une baisse des taux par la Fed (-100 pb à horizon 12 mois). Nous tablons plutôt sur une réduction du loyer de l’argent de 75 pb d’ici le printemps. Le marché étant anticipatif et bien plus important que mon seul avis, il pourrait être logique d’en déduire que tout recul moins marqué de la rémunération nominale du dollar que les anticipations du marché devrait nous conduire à considérer que la baisse du dollar est bel et bien arrivée à son terme.
Tout n’est pas si clair. D’abord, parce que les évolutions à venir dans la composition du conseil de la Réserve fédérale pourraient faire pencher la balance du pouvoir du côté des «colombes». En d’autres termes, le risque de voir les grands argentiers américains agir sur la base de considérations davantage politiques qu’économiques n’est pas négligeable! Ce qui pourrait remettre en cause la crédibilité de l’institution. Un développement qui ne serait pas une bonne nouvelle pour le dollar.
Ensuite, parce que je ne suis toujours pas persuadé que l’administration Trump soit satisfaite par l’ampleur du repli du billet vert depuis le 1er janvier. Les discours sur la «force du dollar» ne me convainquent pas vraiment, surtout venant de personnes, à l’image de S. Miran, qui ont clairement affirmé que la monnaie pouvait être une arme «légitime» dans la mise en œuvre des règles censées gouverner le nouvel ordre économique mondial.
On doit également s’interroger sur l’avenir de la rémunération réelle du billet vert, ce qui nous amène évidemment à la question de l’inflation aux États-Unis. De nombreux opérateurs sont désormais convaincus que l’inflation liée aux tarifs, dont la matérialisation a sans cesse été repoussée au cours des derniers mois, ne serait en réalité qu’une illusion.
Le fait que nous ne disposerons vraisemblablement pas des chiffres du CPI pour octobre ne va pas aider à trancher définitivement la question de savoir si l’inflation tarifaire n’aura été qu’une lubie d’économistes ou non, tout au moins à court terme.
Cependant, est-il légitime de croire que l’inflation est définitivement sous contrôle aux États-Unis alors que la majorité des scénarios économiques tablent sur une réaccélération de la conjoncture domestique au printemps, dans un contexte où les déficits budgétaire et courant restent massifs? Alors que les principaux indices du CPI ont cessé leur «désinflation» depuis quelques mois, le risque semble plutôt celui d’une anticipation trop optimiste du marché sur le comportement des prix dans les prochains mois. Autrement dit, l’attrait de la rémunération réelle du dollar pourrait se révéler moins intéressant que certains le pensent.
On peut aussi faire valoir que des facteurs de moyen terme, comme la volonté de diversification des investisseurs internationaux hors du dollar et/ou les perspectives dégradées sur l’avenir des finances publiques américaines, militent en faveur d’une poursuite de la désaffection à l’égard du billet vert.
En conclusion, le repli de la devise américaine en 2025 reste d’ampleur limitée à ce jour. Malgré une phase de consolidation depuis fin juin, notamment face à l’euro, nous continuons à penser que le billet vert pourrait reprendre sa dépréciation dans les prochains mois. Nous maintenons un objectif de 1,22-1,25 contre l’euro et nous envisageons un retour vers 0,75 contre le franc suisse. Une dépréciation supplémentaire, certes moins forte que celle de 2025, mais qui n’est pas négligeable pour autant. Cependant, c’est peut-être davantage face aux monnaies émergentes que le billet vert aura le plus à perdre au cours des 12 prochains mois…


